Utiliser la vulgarisation dans son enseignement

 

Les pratiques enseignantes dans le supérieur sont extrêmement diverses. Nous ne sommes pas formés à l’enseignement ou très peu, nous avons une pratique assez intuitive qui se réfère souvent à notre expérience estudiantine. Avec les années nous développons certaines techniques au contact des étudiants et étudiantes par essai et erreur. Les échanges entre collègues sont une grande source d’inspiration et également une forme de retour sur sa propre pratique. C’est de cette manière que je me suis rendue compte que ma longue pratique de la vulgarisation scientifique avait un impact très fort sur mon enseignement et que cela n’était pas si courant.

Enfant et adolescente j’ai été une grande consommatrice de vulgarisation scientifique, devenue adulte j’ai fait de l’animation scientifique pendant les colonies de vacances ou au sein de l’association les p’tits débrouillards. Arrivée à l’université cela a été naturel d’utiliser la vulgarisation dans mon enseignement. Certains de mes collègues y sont complètement réfractaires, d’autres vont l’utiliser à la marge mais finalement assez peu la mettrons au cœur de leur enseignement. Pourtant dans le primaire et le secondaire il est très commun de regarder un épisode de « C’est pas sorcier » ou aller visiter un musée. Ces pratiques pédagogiques sont anciennes, fréquentes et encouragées. Pourquoi est-ce que cela devrait changer dans l’enseignement supérieur ?

Avant de répondre à cette question, essayons de définir ces deux activités

Enseigner et vulgariser, différences et points communs ?

Si tout le monde s’accorde sur le fait qu’enseigner et vulgariser sont des activités différentes, trouver des définitions rigoureuses de ces deux activités n’est pas chose facile. Dans la littérature scientifique des sciences de l’éducation on trouve plusieurs définitions de l’enseignement. Pour en faire une synthèse rapide, l’enseignement est une pratique mise en œuvre par un ou une professionnelle dans le but de transmettre des compétences ou des connaissances dans le cadre d’une institution scolaire. Paul Hirst souligne que cette pratique doit être adaptée à l’état des connaissances du public auquel elle s’adresse. Par exemple, il n’est pas possible d’enseigner la mécanique quantique à des élèves de CP car ils n’ont pas le bagage mathématique et conceptuel qui leur permettraient de suivre l’enseignement.

Il est beaucoup plus délicat de trouver une définition académique de la vulgarisation. Nous pouvons essayer de la définir par opposition à l’enseignement : elle ne nécessite pas l’intervention d’un ou une enseignante ni le cadre d’une institution. De même, bien qu’une activité de vulgarisation doive être pensée pour un public donné il devrait être possible de rendre accessible tous les sujets à tous les publics.

C’est sans doute là que les chemins diffèrent entre vulgarisation et enseignement : la vulgarisation c’est rendre accessible quitte à trahir alors que la rigueur est de mise en enseignement… Quoi que cela n’est pas tout à fait vrai: on enseigne le modèle orbital de l’atome : il est faux. On enseigne le modèle de Lewis de la liaison chimique : il est faux. Pire, on enseigne et on utilise en recherche le modèle de Drude : encore faux ! Je pourrais ainsi continuer la liste. L’idée que la rigueur existe en enseignement là où elle n’est pas en vulgarisation ne tient pas. Bien entendu l’utilisation de ces modèles en enseignement vise à rendre accessible le sujet… mais n’est-ce pas là un objectif centrale de la vulgarisation ?

Cette idée d’opposer rigueur et accessibilité pour différencier vulgarisation et enseignement n’est donc pas la bonne voie. Il y a cependant des différences fortes entre les deux pratiques : par exemple l’évaluation fait partie des pratiques enseignante. En ce qui concerne l’enseignement scientifique en particulier, la problématisation c’est-à-dire transformer une question en problème scientifique est également dévolue à l’enseignement.

La difficulté de définir la vulgarisation provient sans doute du fait qu’elle décrit d’avantage une diversité de pratiques. D’ailleurs, ces dernières années, le terme de médiation est apparu faisant naitre des disputes sur le sens de l’un ou de l’autre. Dans la suite j’utiliserai le terme vulgarisation pour décrire des pratiques descendantes et peu interactives, typiquement la conférence de scientifique. Les pratiques de médiation quant elles permettent au public d’accéder aux méthodes des scientifiques.

Pourquoi utiliser la vulgarisation dans l’enseignement supérieur ?

Vulgarisation ou médiation, le soutien des pouvoirs publics à ces pratiques a pour objectif de développer la culture scientifique du public auxquelles elles s’adressent. L’un des rares sociologue à étudier les pratiques de vulgarisation, Olivier Las Vergnas, pose la question de savoir comment mesurer l’acquisition d’une plus grande culture scientifique. Pour cela il définit quatre objectifs de la vulgarisation scientifique qu’il place sur un cadrant :

1. Développer l’esprit critique

Former à l’esprit scientifique est sans doute l’un des objectifs premiers de la vulgarisation scientifique. En France, des programmes comme la main à la pâte, les savanturiers ou les p’tits débrouillards se donnent pour mission explicite de former les plus jeunes à l’esprit critique à travers l’utilisation de la méthode scientifique. Lorsque j’ai été formée à l’animation scientifique, la méthode scientifiques m’a été présenté selon les termes de didactiques comme la méthode OHERIC : Observation Hypothèse, Expérience, Résultats, Interprétation, Conclusion auxquels un second « C » était ajouté pour « communication ».

Aujourd’hui, à l’université je reprends cette base dès que je parle de la mesure : lors d’un cours sur les techniques expérimentales, pour introduire les projets tutorés, lors des séances de travaux pratiques… Par rapport à ce que je faisais lors d’animations avec des enfants, j’attends des étudiants auxquels je m’adresse de faire preuve d’avantage de rigueur et d’autonomie. Contrairement à des enfants, les étudiants doivent être capable de définir précisément les grandeurs physiques à mesurer lors d’une expérience (si je veux mesurer une vitesse je dois avoir l’idée de mesurer une distance et un temps). Là où l’esprit critique s’exacerbe c’est au moment de l’interprétation qui n’est finalement pas autre chose qu’une comparaison, or apprendre à comparer est l’une des choses les plus pointues qu’un ou une scientifique ait à faire. Si dans une activité de vulgarisation l’idée est de faire sentir toute la complexité de cette tâche, en enseignement il s’agit bien au contraire de la dépasser. Ainsi, les étudiants et étudiantes doivent prendre conscience des erreurs lors de leurs mesures et en diminuer les incertitudes.

[N.B. Bien sûr la méthode OHERIC est réductrice, les étudiant.e.s s’en rendent bien compte au moment de poser leur conclusion où de nouvelles hypothèse apparaissent]

2. Réduire les inégalités d’accès aux savoirs

Pour schématiser, l’école – en France en tous cas – est connue pour reproduire les inégalités sociales en enseignant la culture des élites. En ce qui concerne la culture scientifique cela est particulièrement vrai dans le sens où il y a un fossé entre les enfants de parents qui ont eu une formation scientifique et les autres. Ce fossé se creuse car une majorité des enseignants du primaire n’ont pas de formation scientifique supérieure. L’abondance de supports et d’activités de vulgarisation ont pour objectif de pallier ces deux manques.

Arrivés dans l’enseignement supérieur ces inégalités ne sont plus de même nature notamment car le lycée a pour fonction de différencier les groupes d’élèves scientifiques ou non. Si bien que dès la première année d’études supérieures les étudiants et étudiantes ont a priori un bagage scientifique équivalent. Pour qui n’a jamais enseigné en première année, on sait que cela est faux, qu’il y a des disparités entre les territoires et que sur un même territoire il y a des disparités entre les lycées. A cela s’ajoute le fait qu’en première année de licence comme en première année de master l’origine scolaire des étudiants et étudiantes est diverse et qu’il faut passer par une homogénéisation des connaissances avant de pouvoir les approfondir.

En d’autres termes, la vulgarisation dans l’enseignement supérieur peut être un soutient qui donnera accès à la même culture scientifique nécessaire à toute une promotion. Par exemple, en master j’enseigne les spectroscopies vibrationnelles, l’un des chapitres aborde le fonctionnement d’un spectromètre à transformée de Fourrier. Cependant toute la promotion n’a pas eu la chance d’avoir un cours en licence sur la transformée de Fourrier. Je n’ai pas non plus le temps de développer un chapitre entier sur le sujet qui n’est pas le point central de mon cours. Une vidéo de vulgarisation sera suffisante pour me permettre d’expliquer le fonctionnement du spectromètre… A charge aux étudiants d’étudier ce concept de manière plus approfondie et de poser des questions si nécessaire.

3. Produire les scientifiques et ingénieurs nécessaires au développement économique

Traditionnellement cet objectif est ciblé sur les élèves de collège ou de début de lycée. L’idée est de leur faire prendre conscience de leur goût pour les sciences pour qu’ils et elles choisissent une orientation scientifique dès la fin du lycée. Les activités de vulgarisation proposées peuvent l’être de différentes formes : festivals de sciences, concours scolaire (kangourou pour les maths ou olympiades en physique et chimie, etc).

On pourrait penser que les choix d’orientation étant déjà fait à l’université, cet objectif ne fait plus partie de ce que la vulgarisation ou l’enseignement supérieur poursuivent. Cela serait sans compter sur l’auto-censure que s’infligent les étudiants et en particulier celles et ceux qui ont coutume de subir des discriminations. Ainsi, les jeunes femmes ont besoin d’être accompagnées tout au long de leur parcours universitaire car, on le sait, les biais de genre sont de plus en plus prégnants au fur et à mesure des études supérieures, le tout dans un environnement de plus en plus masculin. De même, j’enseigne dans le département de Seine Saint Denis où les jeunes issus de milieux populaires sont confrontés à des situations sociales qui peuvent être vécues comme décourageantes pour la poursuite d’études longues.

On le voit bien, ici le mot médiation conviendrait bien mieux que vulgarisation car il s’agit d’accompagner ces jeunes adultes vers des carrières scientifiques. En deuxième année j’ai mis en place un projet « recrues des sciences » où les étudiants étaient invités à imaginer des activités de vulgarisation scientifiques pour les enfants du quartier de Courtilières à Pantin. Ce projet était l’un des projets tutorés du DUT de Génie Biologique. Les étudiants devaient suivre quelques règles comme choisir un sujet parmi les TP qu’ils avaient fait durant leur DUT, en plus de l’animation un petit livret devait être produit que les enfants pourraient garder après l’animation.

L’impact sur les enfants a été très enthousiasmant bien sûr, mais les réactions des étudiants encore plus ! Parmi les commentaires recueillis par la suite beaucoup dénotaient la prise de conscience de compétences qu’ils n’imaginaient pas avoir, leurs qualités de communicants, une plus grande confiance en eux, la découverte d’une partie d’eux même tout en découvrant les autres. Ainsi, le fait de se retrouver dans la position du « sachant » a permis un gain de confiance en eux qui a sans doute contribué à combattre un syndrome de l’imposteur.

Conclusion

La vulgarisation ou médiation scientifique poursuivent différents objectifs qui sont complémentaires des objectifs de l’enseignement primaires, secondaire mais aussi universitaire. Les étudiants et étudiantes en sciences sont un public qui semble acquis à la cause scientifique. Pourtant rétablir l’égal accès aux savoirs est un prérequis de n’importe quelle formation universitaire ; il est attendu de scientifique d’avoir un esprit critique particulièrement aiguisé et la vulgarisation scientifique a développé nombre d’outils pour atteindre cet objectif. Finalement, nous ne pourrons nous donner les moyens de produire des ingénieurs et scientifiques qu’en accompagnants celles et ceux pour lesquels le parcours est semé d’obstacles d’origines extra-scolaire.

La vulgarisation ou la médiation scientifique ont cette spécificité de donner une liberté d’innovation des méthodes et des supports sans doute beaucoup plus que dans l’enseignement traditionnel. Or ces outils sont un formidable soutien aux missions d’enseignement supérieur. Les enseignants chercheurs ont un rôle très particulier à jouer dans ce cadre car leurs positions à l’interface entre la production et la transmission des savoir leur donne l’occasion de sans cesse renouveler les sujet et les moyens de la vulgarisation.